Rencontre avec Lucie Mateci, épisode 1 : son parcours et le fonctionnement du ballet de l’Opéra de Paris

Lucie Mateci Ballet Imperial

Lucie est quadrille à l’Opéra de Paris, où elle a fait toute sa carrière, et un des piliers du corps de ballet, ayant dansé tous les grands classiques du répertoire. Elle a notamment début mars assuré toute la série du programme Balanchine. Rencontre avec cette danseuse toujours passionnée, avec cette semaine un premier échange autour de son parcours et du fonctionnement du ballet de l’Opéra de Paris.

Lucie, quel est ton parcours ?

Lucie Mateci : J’ai commencé la danse à l’âge de 9 ans chez Palmyre Romanov et j’ai tout de suite été passionnée. Je suis alors passée par le Conservatoire de Lyon, puis par l’école de Pascale Courdioux et René Bon qui m’ont aidée à réaliser mon rêve : rentrer à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Ils m’ont adressée à Christiane Vaussart qui m’a prise sous son aile et présentée à l’école de l’Opéra à l’âge de 15 ans. Après trois années à Nanterre, je m’apprêtais à signer à l’Opéra de Bordeaux lorsque l’Opéra de Paris, dont j’avais passé l’audition sans être prise, m’a rappelée pour un contrat.

Au début, j’ai enchainé beaucoup de petits contrats, en tant que surnuméraire. J’ai passé plusieurs fois le concours pour entrer dans les effectifs permanents de la compagnie et c’est alors que j’avais décidé de le passer une dernière fois et d’aller tenter ma chance ailleurs que ça a fonctionné.

Une personne qui a compté et compte toujours beaucoup dans mon parcours est Carole Ginot, c’est une professeure fabuleuse qui me suit toujours et est un mentor bienveillant pour moi. Elle donne des cours à Lyon et sait passionner ses élèves.

Une fois entrée dans le corps de ballet, il faut continuer à se battre pour être en scène. Il y a eu des séries pendant lesquelles je n’ai pas du tout dansé sur scène, et quand les distributions sortaient j’ai longtemps eu la boule au ventre avant de savoir si je danserais. Finalement ça ne fait que quelques années que je sais que je serai sur scène.

Tu es donc restée un moment surnuméraire. Est-ce qu’il y en a beaucoup dans la compagnie, et quel impact est-ce que ça a ?

L.M : Chaque saison l’Opéra donne des contrats sur une ou plusieurs programmations, tout dépend des besoins pour tenir la saison. L’audition est début juillet, il y a un cours éliminatoire, puis celles et ceux retenus présentent une variation imposée. Décrocher un contrat permet d’avoir un pied dedans. Ce n’est certes pas confortable : ils n’ont pas de place attribuée et remplacent au pied levé. Mais pour tous ceux qui ne sont pas passés par l’école de danse, c’est le passage obligé. Ils se représentent lors du même concours en Juillet et doivent décrocher la première place pour être titularisés. Cette année, pour remplacer les danseurs partis en tournée en Corée, il y avait quasiment une vingtaine de surnuméraires qui venaient de tous les horizons : Etats-Unis, Corée, Espagne, Italie. C’est une vraie chance pour eux d’avoir été sur la scène de Garnier et de danser un beau répertoire.

Que penses-tu du concours de promotion, parfois controversé ?

L.M : C’est une question très délicate qui divise la compagnie. Le travail de corps de ballet exige une forme de danse particulière, on restreint en quelque sorte sa danse pour la calquer sur celle des filles autour, ne pas bouger de son lai. Or pour monter il faut sortir du lot.  Le concours permet justement de se révéler, car ce jour-là nous sommes seuls sur scène avec la possibilité de présenter après sa variation imposée une variation libre qui nous met en valeur. Le choix de la variation est alors très important.

Un des soucis du concours de promotion réside dans le fait qu’il repose essentiellement sur le niveau en danse classique. Tout comme l’étoile qui est nommée sur un ballet classique. Tous les danseurs « stars » en contemporain n’ont plus forcément envie de toucher au répertoire classique et certains décident de ne plus passer le concours.

Le dernier point est le problème de génération. En général, la maison privilégie la jeunesse et par conséquent il est pénible pour un candidat de se présenter tardivement tout en sachant que cela ne marchera pas. Miho Fuji, une danseuse magnifique de grand mérite a eu le courage de le passer sur le tard et n’a pas été promue pour autant. Sous l’ère de Brigitte Lefèvre, les anciennes avaient plus leur chance et cela permettait de garder espoir jusqu’au bout.

Le concours a donc un côté parfois obsolète, un « contrôle continu » serait plus juste.

A titre personnel, comment abordais-tu ce concours, et à quel moment as-tu décidé de ne plus le passer et de te focaliser sur le travail de corps de ballet ?

L.M : C’est une période enrichissante pour le danseur car il fait un travail détaillé sur sa danse avec un coach pendant un mois de façon intensive pour préparer le concours, ce qui le fait donc progresser. Après il faut tenir la pression jusqu’au jour J, c’est une période très fatigante car ça vient en plus des répétitions et des spectacles. Personnellement je ne me suis jamais révélée ce jour-là, trop stressée. Ma danse a évolué doucement au fil des années, or pour faire carrière à l’Opéra il faut avoir tout compris jeune.

Dans ton parcours, est-ce que tu as eu envie d’aller à l’étranger, peut-être justement lorsque passer le concours ne fonctionnait pas pour toi ?

L.M : Il est vrai que j’aurais certainement eu plus de chances de percer dans une compagnie plus petite. Mais je n’ai jamais franchi le pas. D’une part parce que cette maison m’a toujours fascinée et inspirée par son niveau d’excellence, ses danseurs d’exceptions, la richesse de son répertoire classique et contemporain, ses professeurs et chorégraphes qui viennent du monde entier, ses costumes haute couture, un encadrement santé de qualité. J’ai toujours eu conscience que faire partie de cette compagnie, même en bas de la hiérarchie, était un honneur. D’autre part je ne m’imaginais pas vivre loin des miens.

Plus globalement, quelles sont pour toi les qualités essentielles pour être danseuse ?

L.M : Cela dépend de la discipline. Les contemporains acceptent et même recherchent des corps atypiques, ils n’ont pas de norme comme en classique où il est demandé de bonnes proportions, des lignes harmonieuses, de l’en-dehors.

Je pense qu’il faut surtout avoir une bonne oreille, une coordination naturelle et bien sûr un mental solide !

Si on veut être exhaustif il y a plein de choses : le ballon, de bons tendons pour sauter, c’est utile aussi, ainsi qu’une forme de tonicité musculaire. En fait il y a plein de choses importantes, et il faut un peu de tout ! Et il faut aussi être clair dans sa tête, et savoir ce que l’on veut faire !

Quels conseils donnerais-tu aux enfants qui veulent faire de la danse, et à leurs parents ?

L.M : L.M : Dans tous les cas s’ils sont passionnés et travailleurs ils vont s’en sortir. Un enfant qui a envie, on ne l’arrête pas !

Les cours particuliers peuvent être un vrai plus pour un enfant ; il est surtout important de trouver le bon professeur, quelqu’un qui l’accompagne.

Et aussi, emmener les enfants voir des ballets classiques ou contemporains : cela inspire !

Le travail peut-il remplacer le talent – ou inversement ?

L.M : Il y en a qui travaillent très bien, et c’est déjà très beau en soi, mais s’il n’y a pas quelque chose en plus ça n’intéressera personne. C’est forcément un mariage des deux. Mais le talent c’est aussi savoir comment présenter son travail, il faut savoir le faire sortir. Par exemple dans la dernière série de la soirée Balanchine les plus jeunes n’osaient pas tout de suite se lâcher, il faut du temps pour s’autoriser certaines choses. Mais quoiqu’il arrive il faut toujours commencer par une base solide.

Est-ce qu’en tant que danseurs vous voyez déjà des changements introduits par José Martinez depuis son arrivée comme directeur de la danse ?

L.M : J‘ai eu la chance de connaître José lorsqu’il était encore danseur à l’Opéra. Je l’ai vu travailler et exceller jusqu’au bout de sa carrière. Il avait une grosse côte de popularité auprès des danseurs. Lorsque nous avons appris sa nomination la compagnie était ravie, surtout les anciens qui l’ont connu. On savait que c’était la personne adaptée à ce rôle difficile. Il connait la maison, l’aime et n’est pas novice en la matière puisqu’il s’est forgé au rôle de directeur de la danse à Madrid durant près de 8 ans.

Depuis son arrivée, il est très présent pour nous, disponible. Il vient nous parler facilement, et nous dit simplement ce qui est bien ou doit être amélioré. Il a également fait en sorte que l’on reçoive le planning hebdomadaire plus en avance, pour que les danseurs aient plus de confort dans l’organisation de leur vie personnelle. Cela peut paraître anodin, mais c’était une demande des danseurs de longue date.

Un gros sujet en ce moment pour l’opéra est d’attirer de nouveaux publics. Qu’en penses-tu ?

L.M : La mise en place de la soirée jeune public, des places plus accessibles financièrement, est une belle initiative et fonctionne à merveille. Les jeunes sont curieux et ont envie de se faire leur avis.

Les grands classiques sont complets à l’ouverture des ventes, la pointe et le tutu ne sont donc pas prêts de disparaître. La scène contemporaine fonctionne également très bien, surtout auprès des jeunes qui s’y retrouvent plus.

La semaine prochaine, nous aborderons plus précisément avec Lucie le travail de corps de ballet et la récente série Balanchine qui a fait swinguer le palais Garnier !

Propos recueillis par Allison Poels

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