Avec trois nominations d’étoiles en deux semaines, après quelques mois seulement comme directeur de la danse de l’Opéra de Paris, José Martinez frappe fort – et envoie quelques messages quant au style de son mandat.
Jeudi 2 mars, Hannah O’Neill et Marc Moreau nommés étoiles
Tout a commencé le jeudi 2 mars. Bien sûr, on s’attendait à ce que des nominations arrivent rapidement, surtout du côté des hommes, affichant un déficit en nombre d’étoiles par rapport aux femmes. José Martinez lui-même, dans une interview, avait qualifié de « moins urgente » la nomination d’étoiles féminines, sous-entendant par là-même qu’il y avait urgence chez les hommes. Bien sûr, les observateurs attentifs avaient bien remarqué que certains danseurs étaient récemment très bien distribués : Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer, certes, mais surtout Marc Moreau et Guillaume Diop, tous les deux sur une trajectoire de progression éclair et visiblement très appréciés de la nouvelle direction. Certains avaient même voulu y croire pendant la série du lac ces cygnes, même si objectivement cela semblait un peu tôt. Bref, on s’attendait à des nominations.
Pourtant, José Martinez a su créer la surprise. On s’attendait à le voir nommer un homme à la fin d’un grand ballet narratif (l’Histoire de Manon, programmé en juin-juillet, aurait fait l’affaire) ? Le voilà qui débarque sur scène en plein milieu du programme Balanchine, juste avant l’entracte (à ma connaissance, c’est inédit), et commence par nommer étoile…une femme, Hannah O’Neill. Réparant en un instant des années d’injustice concernant cette superbe danseuse, qui assurait déjà depuis longtemps des rôles d’étoile, sans en avoir le titre. Liesse dans le public, semblant pourtant plutôt novice, rien n’ayant fuité des évènements à venir.
A peine les danseurs et spectateurs remis de leurs émotions, voilà qu’Alexander Neef reprend la parole, et Marc Moreau, très ému (on le comprend), vient rejoindre la galaxie des étoiles – les doubles nominations au cours d’une même soirée ne sont pas totalement exceptionnelles mais elles restent rares.
Revenons déjà sur le parcours de ces deux premières étoiles.
Hannah O’Neill, 30 ans, entrée dans le ballet de l’Opéra de Paris par le concours d’admission externe après des études en Australie a pu, au gré des différents directeurs de la danse qui se sont succédé, faire ses preuves dans un certain nombre de grands rôles, démontrant sa grande solidité dans de purs classiques comme le Lac des cygnes ou Paquita. Plus récemment, elle a fait preuve d’un vrai talent de tragédienne dans le Rouge et le Noir, où elle était largement étoilable, puis, semble-t-il, dans Mayerling (où l’auteur de ces lignes n’a pas eu la chance de la voir danser). Cela faisait donc de longues années que le public attendait sa consécration. La voilà enfin couronnée du titre qu’elle méritait. On notera que le choix de ce programme Balanchine fait sens la concernant car, si le style du chorégraphe n’est habituellement pas celui qui convient le mieux aux danseurs parisiens, elle en est une des plus brillantes interprètes au sein de la compagnie (sa Titania dans le Songe d’une nuit d’été était mémorable).
Marc Moreau a eu un début de carrière plus discret : passé par l’école de danse de Nanterre, il a peu à peu gravi les échelons dans la compagnie, avec une belle première partie de carrière comme sujet, bien distribué par Benjamin Millepied, mais plus souvent présent dans le registre contemporain, avant d’être finalement promu premier danseur en 2019. Depuis lors, le covid lui avait donné peu d’opportunités d’être mis en avant. C’est à partir de la fin de 2021 que l’on commence à le remarquer dans des rôles de soliste : énergique Monsieur de Rênal dans le Rouge et le Noir, flamboyante Idole Dorée dans la Bayadère, remarquable Obéron dans le Songe d’une nuit d’été – il est également le partenaire de l’étoile Sae-Eun Park dans Rhapsody. Au fur et à mesure de ces prises de rôle, il montre de plus en plus d’aisance et de maturité, progressant de façon spectaculaire cette année dans ses interprétations. En décembre dernier, il a finalement eu l’occasion de danser l’emblématique prince Siegfried dans le Lac des cygnes, une prise de rôle très réussie qui laissait présager du meilleur pour la suite. Aussi impeccable qu’explosif dans le ballet Etudes lors de la soirée d’hommage à Patrick Dupond dansée fin février, on avait alors pu murmurer qu’il y avait peut-être gagné sa nomination. C’est donc chose faite, et il prouve à 36 ans que la persévérance, parfois, peut payer.

Samedi 11 mars, Guillaume Diop nommé étoile à son tour
José Martinez aurait pu s’en tenir là, du moins pour le moment. Mais décidément, il aime nous surprendre. Pendant qu’à Paris nous continuions à nous dandiner sur la musique de Gershwin, une partie de la compagnie s’était envolée vers la Corée pour y danser Giselle. Guillaume Diop ne devait initialement pas être du voyage mais à la faveur d’un remplacement Dorothée Gilbert, son mentor depuis quelques temps, le réclame à nouveau comme partenaire, et le voilà titularisé dans le mythique rôle d’Albrecht. Un défi de taille, relevé avec brio si l’on en croit José Martinez, interviewé par Ariane Bavelier peu après. C’est le rôle qui a tout fait basculer. Mutin, José Martinez fait mine de quitter la Corée avant la dernière représentation, allant même jusqu’à publier sur les réseaux sociaux une photo soit disant prise depuis l’avion du retour. En fait il est toujours là et, surprise, débarque sur scène à la fin du spectacle pour faire de Guillaume Diop, alors encore Sujet, une étoile, sans même passer par la case premier danseur. Une nomination hors normes, à l’image de son parcours – et de son talent.
Entré dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris en 2018 après être passé par l’école de danse de Nanterre, il n’est que quadrille lorsqu’il lui est donné l’occasion de danser son premier grand rôle de soliste, celui de Roméo, remplaçant un danseur blessé au bras de Léonore Baulac, sa Juliette d’un soir. Une prise de rôle rare pour un membre du corps de ballet, et très remarquée. Car sur scène Guillaume Diop, doté d’une aura magnétique et d’une grâce innée, attire tous les regards. L’essai est transformé, et de nouveaux premiers rôles lui sont accordés à la faveur des remplacements : Basilio dans Don Quichotte, toujours auprès de Léonore Baulac, puis le guerrier Solor dans la Bayadère aux côtés de Dorothée Gilbert, danseuse étoile star de la compagnie qui confiera adorer danser avec ce partenaire attentif. En le voyant sur scène, nul ne doute alors que Guillaume Diop sera un jour étoile.
Pendant ce temps, et tout en assurant en parallèle les rôles du corps de ballet, il commence à gravir les échelons par le biais du concours interne, promu ainsi coryphée début 2022 puis sujet à la fin de la même année et continue ses prises de rôle dans les plus grands ballets, dansant rien de moins que le prince Siegfried dans le Lac des cygnes fin 2022. Il faut certes normalement être déjà promu premier danseur avant d’être étoilable. Mais un tel talent n’attend pas. Pas plus que n’avaient attendu Laurent Hilaire, Manuel Legris ou Mathieu Ganio, ses trois illustres prédécesseurs, eux aussi propulsés étoiles sans passer par la case premier danseur et dans les pas de qui Guillaume Diop marche fièrement.
Des nominations qui posent les bases du mandat de José Martinez
Trois nominations qui, en plus d’être d’excellentes nouvelles pour les intéressés comme pour le public (oui nous sommes de grands sentimentaux), posent les bases du mandat de José Martinez.
En consacrant en l’espace de deux semaines des profils aussi différents, il donne déjà une leçon de management, faisant passer le message qu’il poussera les jeunes sans pour autant oublier les danseurs expérimentés, bref que chacun a sa place, et sa chance, au sein de la compagnie.
Ensuite, en nommant étoile Guillaume Diop sans plus attendre, il régularise une situation de fait qui, d’après l’intéressé lui-même (interrogé en décembre par Rosita Boisseau), créait parfois des tensions en interne. Désormais c’est donc bien une étoile qui dansera ces rôles d’étoile – et avec quel panache !
Enfin, en choisissant des dates et des rôles sans symbolique particulière, des soirées « banales », pour ces nominations, sans laisser auparavant fuiter de discrets signaux permettant aux balletomanes et à la presse de se ruer dans la salle, sans non plus convoquer les caméras, José Martinez refait de la nomination au rang d’étoile un moment de consécration qui regarde avant tout le danseur concerné, et non pas un acte à portée médiatique.
Des décisions de manager, qui montrent son expérience et le style qu’il entend donner à son mandat. En attendant, il nous reste à féliciter ces trois superbes danseurs – nos trois nouvelles étoiles qui brillent désormais au firmament de l’Opéra de Paris dont ils sauront porter fièrement les couleurs.
Allison Poels
Wilfried Romoli avait été nommé à l’entracte, après une création. Moreau est à la connaissance la seule étoile à avoir dû enchaîner une autre œuvre !…
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Merci pour cette précision !
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