[Archive décembre 2021]
Cette saison, les Ballets Russes sont à l’honneur à Paris, avec deux programmes qui leur font hommage. Le Théâtre National de Chaillot a ouvert la danse en novembre avec le Malandain Ballet Biarritz, qui y a associé un Oiseau de feu chorégraphié par Thierry Malandain et une relecture du Sacre du printemps par Martin Harriague. L’Opéra de Paris prend la suite en ce mois de décembre avec un programme qualifié de russe dans lequel, après le classique Rhapsody du chorégraphe Frédéric Ashton, une courte création de Sharon Eyal inspirée de l’Après-midi d’un faune laisse ensuite la place à la recréation du Sacre du printemps de Nijinski par Dominique Brun. L’occasion pour le public parisien de voir, à quelques mois d’intervalles, la plus ancienne et la plus récente version de ce Sacre. Chronique de ce voyage dans le temps.

Créé en 1913 par Nijinski dans le cadre des ballets russes, le Sacre du printemps, ou « Tableaux de la Russie païenne », fait scandale dès sa première représentation au théâtre des Champs-Elysées, au point d’être abandonné au bout de huit représentations. La chorégraphie d’origine a été perdue depuis, d’autant plus facilement que Nijinski a refusé que ses créations soient filmées. Pourtant, la chorégraphe Dominique Brun s’est attaquée à un défi de taille : recréer la version d’origine, ou du moins s’en approcher au plus près possible. En s’appuyant sur les photos, critiques et descriptions datant de sa création, elle a effectué un travail minutieux de reconstitution. C’est le résultat de ce passionnant travail qui est présenté à l’Opéra de Paris. Et s’il était extrêmement novateur au début du XXe siècle, force est de constater qu’il est moins attrayant pour le spectateur de 2021. Très statique, la chorégraphie semble faite de poses enchainées plus que de mouvements. Les pieds en dedans, les têtes inclinées, les piétinements, les postures très refermées, étaient résolument modernes en 1913 ; aujourd’hui on ne retient de tout cela que quelques images, les mêmes que l’on retrouve sur les gravures de l’époque. Intéressant à titre historique, moins enthousiasmant sur le plan artistique, ce Sacre laisse le public perplexe. Heureusement que le très court Faunes de Sharon Eyal, présenté en fin de première partie, est un petit bijou de finesse, dont les créatures aux longues jambes parviennent à captiver le spectateur et à l’emmener en douze minutes dans un autre monde, sauvant un programme par ailleurs un peu décevant.

Mais revenons au Sacre. Depuis 1913 et cette version qui aujourd’hui nous parle si peu, la partition de Stravinski a inspiré de nombreux chorégraphes : après Horton en 1937, et avant Neumeier, Walter et bien d’autres encore, Béjart fut parmi les premiers à s’emparer de la mythique partition en en faisant une ode à la sensualité axée sur un couple. Mais c’est sans conteste la puissante chorégraphie de Pina Bausch et son élue exsangue qui a le plus marqué aussi bien spectateurs que danseurs. Il y a un mois, nullement intimidé par ce pesant historique, Martin Harriague, chorégraphe résident auprès du Malandain Ballet Biarritz, proposait à son tour sa version de ce ballet devenu mythique, dans le cadre du programme Stravinski au Théâtre National de Chaillot.
La première partie du programme était déjà reliée aux Ballets Russes, avec un Oiseau de feu plein de lyrisme chorégraphié par Thierry Malandain, mettant en scène un gracile et étonnant Hugo Layer aux extensions aériennes ainsi que d’harmonieux ensembles.

Une entrée en matière bien éloignée du langage puissant et terrestre de Martin Harriague. Son Sacre du printemps, qui débute avec un flot de danseurs se déversant hors du piano de Stravinski comme vomis de la bouche d’un monstre, est éminemment ancré dans le sol. Toute en puissance, très rythmée, sa chorégraphie anime les danseurs d’une pulsion répétitive et hypnotisante, retournant aux sources de la narration d’origine par son côté sauvage et sa violence à peine contenue. La dernière partie, qui voit l’élue disputée par le groupe dans une séquence qui frôle l’acrobatie, accélère le rythme obsédant de la chorégraphie jusqu’au sacrifice final. Malgré quelques longueurs au milieu de la pièce, l’ensemble est une réussite et, de Sacre, affirme surtout celui de Martin Harriague au rang des chorégraphes à suivre.