[Archive 2020]
Cathy Marston, peu connue en France, est pourtant une talentueuse chorégraphe largement reconnue dans les pays anglo-saxons. Son langage chorégraphique, s’il se rattache au classique, n’en est pas moins novateur, reposant sur la narration tout en s’affranchissant à la fois des structures traditionnelles et de toute pantomime, pour mettre l’accent sur l’évocation comme moyen de compréhension de l’histoire.
En 2020, elle crée pour le Royal Ballet de Londres The Cellist, un long ballet narratif relatant la vie de Jacqueline du Pré, célèbre violoncelliste qui connut un début de carrière fulgurant aux côté de son mari le chef d’orchestre Daniel Barenboim, avant qu’une sclérose en plaques ne la contraigne à une retraite très précoce. Histoire au caractère tragique, qui pourrait être traitée dans un registre purement dramatique mais que la chorégraphe fait le choix intelligent de centrer sur la relation entre la violoncelliste et son instrument.

Ce n’est pas la première fois que Cathy Marston personnifie les objets par le biais de ses danseurs – on se souvient de sa superbe tempête de neige dans Snowblind, créé pour le San Francisco Ballet. Ici, elle pousse le concept plus loin encore. Déjà car, au-delà des passages dansés, des membres du corps de ballet figurent une série d’objets du quotidien (le tourne-disques par exemple), se substituant ainsi partiellement au décor. Mais surtout, car elle fait le choix de faire incarner par un danseur le violoncelle lui-même, et d’en faire un personnage central du ballet. Choix osé, et formidablement réussi.
Ainsi, dès les premières scènes, le magnétique Marcelino Sambé, qui bien plus que l’instrument en lui-même matérialise l’âme du violoncelle, vient s’imposer comme une évidence à la lumineuse Lauren Cuthbertson, dont la ressemblance physique avec Jacqueline du Pré est troublante. Tout repose sur une pose savamment étudiée où Marcelino Sambé, un genou à terre et un bras tendu vers le ciel, imite la forme de l’instrument. La magie opère et l’on croit voir Lauren Cuthbertson jouer du violoncelle. La relation entre les deux devient vite fusionnelle au travers de superbes pas de deux à la tonalité emprunte d’affection, qui sauvent les tons un peu ternes du reste de la pièce. L’apogée est atteinte lors d’une scène de concert, moment de la rencontre avec Daniel Barenboim, que Matthew Ball interprète avec juste ce qu’il faut de suffisance. Le corps de ballet, dont il est dommage qu’il soit par ailleurs sous-exploité dans ce ballet, s’anime par groupes au rythme du concerto d’Elgar, donnant vie à tout un orchestre qui est évoqué sans être mimé, pendant que sur deux piédestals chef d’orchestre et soliste se répondent et se séduisent mutuellement. La scène se poursuit par un pas de trois au cours duquel le violoncelle semble soutenir et cimenter la relation amoureuse entre Du Pré et Barenboim, une interprétation qui renvoie à la richesse de leur collaboration musicale.

L’apparition de la maladie est traitée avec sensibilité, sans tomber dans le pathos, et est l’objet d’un duo poignant entre la violoncelliste paralysée par ce corps qui l’abandonne et le violoncelle qui ne cesse pour autant de réclamer son attention. Privée de sa raison de vivre, enfermée dans la solitude, la scène finale montre Jacqueline du Pré, immobile dans un fauteuil, entourée du virevoltant esprit du violoncelle, qui ne l’a jamais quittée et dont on comprend qu’il sera toujours à ses côtés. Une vision pleine de nostalgie mais dans laquelle on peut également voir une touche d’apaisement et de réconfort.
Cathy Marston aborde ainsi la maladie avec pudeur et sensibilité, mais signe surtout une magistrale illustration de ce que peut être la passion d’une vie et la relation d’un musicien à son instrument, ce qui fait de ce ballet, malgré quelques longueurs et une scénographie pâlichonne, une œuvre qui mérite d’être retenue. Une forme également d’hommage de la danse à la musique, à laquelle elle doit tant…

Superbe !
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