The Bright Stream de Ratmansky par le ballet du Bolshoï

[Archive 2018]

The bright stream, ancien pur produit de l’époque soviétique remis au goût du jour par Alexei Ratmansky, après avoir été banni peu après sa création en 1953, est l’archétype de la farce comique : une intrigue basée sur le rire avec échanges de rôles et travestissements, des gags récurrents, une musique enlevée et une happy end gentillette. Présenté en Europe lors de la tournée du Bolshoï auprès du Royal Ballet de Londres en 2018, ce court ballet d’une heure trente sur une musique de Shostakovitch détonne au milieu des grands classiques. Voyons ce que vaut ce divertissement.

Photo Pathé Live

L’intrigue se déroule dans une ferme collective soviétique. Le décor l’est d’ailleurs résolument, soviétique, avec la faucille et le marteau en plein milieu du premier rideau puis un décor à l’esthétique assumée, mélange de beiges orangés et verts passés évoquant des motifs floraux et des fruits, tracteurs et avions schématisés dans un style industriel passant à l’arrière-plan, et petites robes à fleurs toutes simples pour les femmes.

Zina est mariée à Pyotr, étudiant agricole. Il s’agit d’une ancienne danseuse mais personne dans le village n’est au courant. La mise en place de la situation initiale est simple et rapide, Zina esquisse quelques pas son livre à la main, avant de danser avec Pyotr, très enjoué. Une troupe de danseurs est annoncée et attendue avec impatience. Les différents protagonistes, brossés sans équivoque (uniforme d’écolière, costume de moujik, couple de vieillards caricaturaux) brandissent une banderole rouge souhaitant la bienvenue aux artistes tandis qu’un train s’arrête à l’arrière-plan comme dans un théâtre de marionnettes.

Photo Bolshoï Ballet

Sitôt arrivée la ballerine, Zina reconnait en elle une amie d’enfance. Elles se retrouvent, se rappellent les bons souvenirs de l’école de danse, mais Pyotr tourne autour de la danseuse, au grand désespoir de Zina. Pendant ce temps, un couple de vieillards courtise avec insistance, lui la ballerine, elle le danseur de la troupe. Se met alors en place une grande farce au cours de laquelle le danseur et sa partenaire intervertissent rôles et costumes pour se rendre chacun au rendez-vous galant de l’autre, pendant que Zina, déguisée en ballerine, se rend au rendez-vous donné par Pyotr à celle-ci – alors qu’intervient aussi un déguisement de chien pour ajouter à l’absurde de la situation. Pyotr ne reconnaissant pas pour autant sa femme, il faudra qu’elle prenne la place de son ancienne camarade lors du spectacle donné le lendemain, avant de révéler son identité, pour qu’il réalise la valeur de celle avec qui il partage sa vie et lui demande pardon de son incartade. Tout le monde est pardonné, et c’est la fête au village. On notera au passage la morale proche de celle de la Sylphide, incitant le chaland à apprécier ce qu’il a près de lui au lieu de courir après l’inaccessible.

Du point de vue chorégraphique, la danse est habilement mélangée au comique, sans séparer, comme c’est souvent le cas dans les ballets dansés en Europe (on pense à la fille mal gardée ou à Don Quichotte), passages dansés et passages de mime, ni personnages dansants de façon noble et personnages caricaturaux. Le premier acte offre de beaux passages, comme le charmant duo entre Zina et son amie d’enfance, où elles reproduisent chacune les pas de l’autre comme en miroir, la scène de bal qui allie pas très classiques et finitions comiques, ou encore le pas des paysannes et ses tours cinquième sans concession. On pourrait simplement reprocher à la fin de ce premier acte de tourner un peu au grand cirque, mais la suite de l’intrigue est amenée sans excès de mime, la présentation des costumes de chacun suffisant à faire comprendre au spectateur les différents tours qu’ils s’apprêtent à se jouer mutuellement.

Dans le second acte, les différents rendez-vous galants sont l’occasion d’un mélange assez réussi entre classique et danses de caractère, avec des effets comiques bon enfant mais efficaces (le déguisement de chien, un peu excessif, pourrait être lassant, mais au final on rit de bon cœur). Le clou du spectacle est un passage dansé par le danseur travesti en sylphide. Ça pourrait être trop, mais c’est terriblement drôle, sans sacrifier pour autant la danse au comique car la variation, sur pointes, reste solide, et Ruslan Skvortsov l’exécute avec brio et beaucoup d’humour.

Photo Pathé Live

Après un joli pas de deux, assez classique, entre Zina (Svetlana Lunkina) et Pyotr (Mikhail Lobukhin), qui n’a toujours pas reconnu sa dulcinée, le dernier tableau, un peu expéditif, laisse place au dénouement, tombant dans un style pompier qui donne une impression de bâclé.

On reste donc un peu sur sa faim, car ce dernier tableau aurait pu donner lieu à de beaux tableaux dansés, dont la courte durée du ballet ne rendait pas nécessaire de se priver.

Reste que l’on passe un bon moment devant ce divertissement léger mais solidement porté par les danseurs du Bolshoï. Moins exigeant techniquement que la fille mal gardée, qui serait en quelque sorte notre équivalent européen, mais à l’humour un peu plus fin dans les détails, The Bright Stream ne restera sans doute pas dans les annales comme un grand ballet (dommage que la chorégraphie de la dernière partie ne soit pas à la hauteur), mais l’on aura plaisir à le voir à nouveau.

The Bright Stream sera à nouveau dansé au Bolshoï à Moscou début 2022.

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