Mythologies d’Angelin Preljocaj au Théâtre du Châtelet : le plein d’harmonies

Angelin Preljocaj Mythologies

Angelin Preljocaj, chorégraphe prolifique, signe cette année sa nouvelle création dans le cadre d’une collaboration entre sa propre compagnie et le ballet de l’Opéra de Bordeaux. Ce sont ainsi des danseurs des deux compagnies que l’on retrouve ensemble sur scène dans cette œuvre d’une heure trente quasi hypnotique et particulièrement réussie.

Mythologies est une vaste fresque dont le seul fil conducteur est la mise en scène de mythes plus ou moins célèbres, liés entre eux par une réflexion sur la nature belliqueuse de l’humanité.  Le propos, et la scénographie qui s’en inspire, sont certes un peu trop intellectuels, et il est utile de lire le programme avant le début de spectacle si l’on veut comprendre le sens donné à ces vidéos de visages en gros plans, bien réalisées, mais qui n’apportent rien à la force visuelle de l’œuvre voire au contraire détournent l’attention de la chorégraphie au début de celle-ci. Difficile aussi d’accrocher aux figures de catcheurs, dont le lien avec le sujet, à savoir leur présence dans l’ouvrage de Roland Barthes consacré aux Mythologies, découle là encore plus d’une vue de l’esprit que d’une cohérence esthétique et émotionnelle.

Mais l’intérêt de l’œuvre n’est pas là, et ces défauts sont vite pardonnés. Car une fois que l’on fait abstraction de cet intellectualisme excessif, Mythologies est un petit bijou dont il serait dommage de se priver.

Preljocaj utilise les formidables qualités des danseurs réunis sous sa direction dans une chorégraphie qui exige d’eux une maitrise et une précision remarquables. Dès le prologue les ensembles se succèdent, incisifs mais très fluides, lyriques parfois, dans ce style inimitable qui fait le lien entre classique et contemporain. Quelques pas de deux apportent du relief à certains tableaux, que l’utilisation très réussie des éclairages contribue à mettre en valeur. Celui du Minotaure diffère un peu des autres par sa scénographie : des panneaux mobiles déplacés par des danseurs invisibles réussissent à recréer de façon saisissante l’impression d’un labyrinthe sans issue et l’angoisse de la victime livrée à la bête. Ce tableau est peut-être, avec celui de la chute d’Icare qui entretient les contrastes, le plus frappant, mais ce sont les ensembles qui par instants rappellent les harmonies de la danse classiques avant de retourner vers un langage plus ancré dans le sol, qui constituent l’essence envoûtante de ce spectacle.

La réussite de la création tient aussi sans nul doute à la composition musicale, œuvre de Thomas Bangalter, ancien des Daft Punk, aidé de Romain Dumas à la direction musicale. Par un total revirement de style, il signe ici une partition symphonique pour orchestre (jouée par l’orchestre de chambre de Paris). Le résultat, étonnamment classique, fonctionne très bien, et contribue à emporter le spectateur dans une douce fascination dont il ne ressort qu’à la scène finale, qui peut paraitre convenue mais qui m’a semblé sonner juste. Envoûtant.

Mythologies continue sa tournée à l’Opéra de Limoges les 12 et 13 novembre, à l’Opéra de Versailles du 14 au 18 décembre puis à La Criée de Marseille du 8 au 11 juin.