Que pourrait changer, pour le public, la nomination de José Martinez à la tête du ballet de l’Opéra de Paris ?

José Martinez nomination

Alors que José Martinez, qui prendra ses fonctions début décembre, vient d’être nommé en remplacement d’Aurélie Dupont à la direction de la danse de l’Opéra de Paris, les articles fleurissent exposant les défis qui l’attendent. En effet le poste est connu pour être délicat : des problèmes de gestion ont émaillé les derniers mandats, et nul doute que les huit ans d’expérience du nouveau directeur de la danse à Madrid, alliés à sa connaissance de la maison, lui seront utiles pour redresser la barre – une expérience et un recul qu’Aurélie Dupont n’avait pas à sa prise de poste, et une connaissance qui manquait à Benjamin Millepied. Mais il n’y a pas qu’en interne que les attentes sont élevées.

Chez le fidèle mais exigeant public parisien, les critiques étaient nombreuses à être formulées pendant les précédents mandats : pas assez de classique, pas les bons ballets programmés, niveau disparate, distributions voire nominations qui ne plaisaient pas toujours, difficultés à suivre ses artistes favoris… Alors, que peut espérer le public de ce changement de direction ?

L’équilibre de la programmation entre danse classique et contemporaine

Vu du public, la première demande forte concerne l’équilibre entre danse classique et danse contemporaine. Dès le mandat de Brigitte Lefèvre, certains spectateurs trouvaient qu’il n’y avait pas suffisamment de ballets classiques programmés chaque année. Le bref passage de Benjamin Millepied n’a certainement pas arrangé les choses, danse classique semblant rimer pour lui quasi uniquement avec lac des cygnes. A son arrivée, Aurélie Dupont promettait « le grand retour du classique » : il se fait pourtant toujours attendre, alors même que les grands ballets narratifs semblent être les seuls à remplir les salles en ce moment. Derrière cette attente du public se cache la question de la mission de l’Opéra de Paris : assurer la pérennité d’une programmation classique que les compagnies ne sont pas nombreuses à pouvoir danser en France, ou stimuler la création contemporaine, alors même qu’en la matière l’offre à Paris est déjà bien étoffée ? La question est évidemment orientée, mais chacun se fera son opinion.

La programmation de plus de ballets classiques est donc une attente forte des spectateurs, aussi bien occasionnels que réguliers.

Une autre question est celle de la création classique. En effet, à l’Opéra de Paris les ballets classiques dansés le sont surtout dans les chorégraphies de Noureev, avec quelques œuvres de Pierre Lacotte, Balanchine, Ashton ou encore MacMillan (omniprésent cette saison). Si des créations contemporaines sont régulièrement accueillies au palais Garnier, en matière classique pas grand-chose de nouveau sous le soleil. Il y a bien eu la création du Rouge et le Noir de Pierre Lacotte en 2022, qui malgré un accueil mitigé a fait souffler un vent de renouveau tout à fait bienvenu sur la scène classique parisienne. Mais comparée aux autres grandes compagnies nationales, comme le Royal Ballet et l’English National Ballet pourtant si proches de nous, qui ajoutent régulièrement à leur répertoire de nouveaux ballets narratifs classiques ou néo-classiques signés Liam Scarlett, Christopher Wheeldon, Cathy Marston ou encore Tamara Rojo, notre institution française fait pâle figure. Et avouons-le, malgré un réel attachement aux versions de Noureev, parfois on aimerait bien voir autre chose.

José Martinez semble conscient de cette problématique, puisqu’il a dès l’annonce de sa nomination évoqué la nécessité de remettre le classique au cœur du répertoire et d’y faire entrer de nouvelles créations ou relectures afin, dit-il, de « faire entrer le classique dans le XXIe siècle ». Est-ce crédible ? Oui, car l’ancien directeur artistique du Ballet National d’Espagne a précisément su redonner à cette compagnie sa vocation classique alors qu’elle s’en était très largement éloignée, et en tant que chorégraphe il a démontré un attachement profond au langage classique qui permet de donner du crédit à ces déclarations. En revanche, il faudra attendre un peu avant d’en voir les fruits : la prochaine saison sera celle préparée par Aurélie Dupont, et celle de 2024-2025 ne sera qu’à moitié choisie par José Martinez, une partie de la programmation étant déjà prévue. Un peu de patience, donc.

Le niveau général du ballet de l’Opéra de Paris

Après des années à son apogée suite à l’ère Noureev, et particulièrement lorsque Patrice Bart puis Laurent Hilaire étaient maitres de ballet, le niveau général de la compagnie avait par la suite accusé le coup, avec des solistes un peu moins charismatiques et un corps de ballet qui n’était plus aussi solide. Sujet tabou s’il en est – le ballet de l’Opéra de Paris n’a pour autant pas cessé d’être une bonne compagnie, mais qui n’était plus au niveau de ses proches voisins. La barre a déjà été en bonne partie redressée (notamment d’ailleurs pendant le mandat d’Aurélie Dupont), et la compagnie n’a globalement pas à rougir de son niveau. Pourtant, quelques défis restent à relever pour continuer à rivaliser avec les autres compagnies dans le répertoire classique.

Ce ne sont pas les qualités des danseurs qui sont en jeu : le potentiel est bien là, et parfois il s’exprime superbement. Mais la principale critique exprimée est que le ballet reste trop irrégulier dans ses performances – ce que ne manquent pas de souligner avec dépit les spectateurs étant par malchance tombés sur un jour « sans », et qui se souviendront qu’ils ont payé le même prix qu’au Royal Ballet ou à la Scala de Milan pour un spectacle moins parfait. D’une soirée à l’autre, il est bien sûr inévitable que le résultat varie, c’est même ce qui fait tout l’intérêt du spectacle vivant. Mais si les actes blancs des grands ballets classiques sont en général travaillés au cordeau et ne déçoivent pas, les passages moins emblématiques ne font pas toujours l’objet du même soin. On a ainsi vu quelques problèmes de synchronisation trop répétés dans les ensembles aux premier et deuxième acte de la Bayadère, par exemple. La faute peut-être au manque de pratique classique sur scène au long de l’année ? Ou à des durées de répétitions trop contraintes obligeant à mettre l’accent sur certains passages au détriment des autres ?

Par ailleurs, le concours de promotion l’a bien mis en avant, et avant cela le pas de deux des vendangeurs dans Giselle en juin dernier, il semble actuellement y avoir comme un creux générationnel chez les solistes hommes, entre une génération d’étoiles déjà bien installées, et de plus jeunes danseurs certes prometteurs mais pour la majorité pas encore assez mûrs pour briller dans les premiers rôles. Il y a donc là un vide à combler afin d’assurer la pérennité du niveau pour les rôles de solistes et de demi solistes. Rien d’inéluctable cependant : de jeunes talents se font déjà remarquer et ne demandent qu’à affirmer leurs qualités.

Que peut y faire le nouveau directeur de la danse ? A Madrid, il a su reprendre en main une compagnie qui ne dansait presque plus de classique, et la ramener à un niveau tout à fait honorable. Cela passe bien sûr par le choix des maitres de ballets et répétiteurs, mais aussi par la programmation, qui doit permettre aux danseurs de prendre régulièrement de l’expérience sur scène dans le registre classique, tout en permettant un planning de répétitions réaliste, indispensable également pour éviter les blessures. Peut-être José Martinez choisira-t-il en complément de faire appel ponctuellement à des solistes de l’extérieur le temps que la jeune génération s’affirme : la pratique n’est pas courante à l’Opéra de Paris et serait peut-être mal reçue, mais cela semble être une option à considérer pour ne pas surcharger les solistes actuels le temps que la jeune génération les rattrape.

Il y a donc de quoi être confiants, sans s’attendre pour autant à des changements radicaux.

La possibilité de suivre ses artistes favoris au sein du ballet

Chez les femmes, on observe le problème inverse que chez les hommes, avec un nombre important de danseuses qui pourraient prétendre à des premiers rôles et qui risquent de se retrouver frustrées de ne pas les danser. Dit autrement, il n’y a pas assez de place pour tout le monde. C’est certes rassurant en ce que la relève est assurée, mais cela pose un problème en termes de gestion de carrière, car il est dans l’intérêt de l’Opéra de Paris, et du public, de retenir ces danseuses pleines de qualités en leur offrant suffisamment de rôles intéressants à danser. Comment ne pas penser à Eléonore Guérineau ou Bianca Scudamore par exemple, qui semblent bloquées au grade de sujet, alors qu’elles ont démontré qu’elles étaient non seulement capables d’assurer de premiers rôles, mais aussi de le faire avec brio. Afin d’éviter un « phénomène Mathilde Froustey » et de garder tous les talents de la compagnie, le nouveau directeur, ne pouvant augmenter le nombre de premiers danseurs ou d’étoiles, devra faire l’impossible en termes de programmation. Là encore l’attente est forte du côté du public, car il y a parmi les sujets et les premières danseuses des artistes très appréciées et dont les spectateurs s’arrachent les billets les soirs où elles dansent (on peut penser par exemple à l’unique date d’Héloïse Bourdon en Kitri dans Don Quichotte en décembre dernier). La solution n’étant pas de remplacer les étoiles actuelles par la nouvelle génération à la manière de Benjamin Millepied, loin de là, car la plupart des étoiles sont également très appréciées du public. Un casse-tête à venir pour José Martinez, car il disposera de peu de leviers….

Le second sujet délicat sera celui des projets menés par les danseurs en dehors de l’Opéra de Paris. Il y a bien sûr François Alu, nommé étoile en avril dernier et qui n’a toujours pas redansé sur la scène de l’Opéra, absorbé par son one-man show et sa participation au jury de Danse avec les stars, au grand dam d’un public qui a réclamé sa nomination et se voit pour le moment privé de possibilités de le voir danser. Mais son cas, s’il est extrême, n’est pas isolé. De nombreux artistes du ballet multiplient ainsi les projets liés à la danse pendant leur temps libre. Est-ce un problème ? Non, et au contraire ces projets extérieurs, en général suivis par le public d’habitués, ne peuvent que nourrir leurs interprétations en tant qu’artistes. En revanche, cela pose trois questions.

La première est celle de leur disponibilité, illustrée par la difficulté de François Alu de tout concilier de front – cela semble moins difficile à gérer chez les autres danseurs, mais il faut bien sûr qu’ils gardent une disponibilité suffisante pour répondre au besoin de leur principal employeur. La seconde provient du fait que les danseurs, où qu’ils se produisent, représentent de fait l’institution à laquelle ils appartiennent. Et en cela, l’Opéra de Paris pourrait souhaiter avoir un droit de regard sur les spectacles auxquels ses danseurs participent, afin de ne pas ternir l’image de la maison si ceux-ci étaient jugés de qualité insuffisante ou d’un style inadapté. Enfin, la multiplication de ces projets personnels est-elle le signe que les danseurs ne trouvent plus leur accomplissement dans ce que la compagnie leur donne à danser ? Le sujet ne sera à l’évidence pas facile à appréhender, et José Martinez l’a déjà évoqué lors de ses premières déclarations à la presse. Laissera-t-il la latitude actuelle à ses danseurs, ou souhaitera-t-il sonner le rappel ?  Pour le public, la possibilité de voir les artistes se produire en-dehors de l’Opéra en dépendra, mais cela pourra également impacter les choix de programmation de grands ballets nécessitant de mobiliser la majorité des danseurs de la compagnie en même temps.

Dernier détail, mais qui a son importance : José Martinez a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaiterait que les distributions soient annoncées plus longtemps à l’avance. Cela répond à une demande forte du public parisien, qui regrette actuellement de ne pouvoir choisir ses dates de spectacle en fonction des artistes, les distributions par date étant généralement annoncées bien après l’ouverture des réservations. Le même public s’était ému, notamment dans la série du Rouge et le Noir, que les changements de distribution en cours de série ne soient annoncés qu’au dernier moment, et apparemment sans volonté de conserver au maximum les distributions par date précédemment annoncées (même si le service communication a déjà fait un effort visible courant 2022 pour tenir les spectateurs informés au plus vite en cas de changement).

Une telle mesure serait donc très bien accueillie, et un vrai premier pas pour réconcilier le public avec une institution à laquelle il reste très attaché !

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