Le lac des cygnes par le ballet de Kiev

[Archive 2019]

Après son casse-noisette l’an passé, c’est le lac des cygnes que le ballet de Kiev présentait cette année au théâtre des Champs-Elysées à Paris. Un classique toujours efficace pour les fêtes de fin d’année, dansé impeccablement quoique sans brio par une compagnie de bon niveau, mais dans une chorégraphie un peu fade à notre goût.

Nombreuses sont les versions du lac des cygnes dansées partout dans le monde, et il est toujours agréable de regarder ce qui se fait ailleurs, surtout quand la compagnie vient à nous et dans un cadre comme celui du théâtre des Champs Elysées. Le ballet de Kiev invité ici nous a laissé une bonne impression d’ensemble, malgré un démarrage peu probant.

Car l’acte 1, disons-le, ne contribue pas à laisser au spectateur une première bonne impression. La chorégraphie, simplifiée à l’extrême, évoque plus un spectacle de fin d’année qu’un ballet digne de ce nom. Une note correspond à un pas, avec des temps d’arrêts réguliers face au public, comme pour laisser aux danseurs le soin de se resynchroniser. Étrange, et un peu poussif. Les costumes manquent de cohérence, les robes de paysanne à la Giselle du corps de ballet côtoyant les costumes de princesses pailletés des solistes du pas de trois. Au milieu de tout cela, les danseurs sont au contraire impeccables. La chorégraphie, si simpliste soit-elle, est très proprement exécutée par le corps de ballet, et les solistes du pas de trois font preuve d’une belle virtuosité. Mis à part des en-dehors moins marqués qu’en Europe et des pieds pas toujours tendus au maximum chez les hommes, le style de danse est proche de ce que nous avons l’habitude de voir à Paris, sans l’exubérance parfois marquée des fins de variations caractéristique de l’école russe et que l’on s’attendait à retrouver ici.

Le second acte est déjà plus cohérent et prend plus d’ampleur. Si le jeu d’acteur du prince (Denys Nedak) ne convainc pas totalement, le corps de ballet est irréprochable, les lignes bien nettes et les pas proprement exécutés. Seules les attitudes sensiblement plus ouvertes qu’en France et les tutus nettement plus duveteux diffèrent légèrement de ce que l’on a l’habitude de voir.

Rothbart (Yaroslav Tkachuk), dès sa première apparition, donne enfin du corps à l’histoire : il en impose par sa présence scénique et, très investi dans son rôle, donne une véritable épaisseur à son personnage, en s’appuyant sur une technique sûre. C’est fort bienvenu car les autres interprètes restent à ce stade un peu timides dans leur interprétation. En cygne blanc, Anastasia Shevchenko est très à l’aise dans son rôle, dont on a l’impression qu’il relève plus pour elle de la routine que du défi. Tout est parfaitement exécuté, aussi bien techniquement que dans l’interprétation, mais il manque un je ne sais quoi de plus pour être transporté dans l’histoire. Il faut dire que les danseurs ne sont pas aidés par un orchestre un peu juste, parfois même carrément désynchronisé. En résumé, tout est très propre, mais à l’exception des apparitions de Rothbart on s’ennuie un peu.

C’est au troisième acte que l’on se réveille. Il est plus abouti que le premier, plus cohérent, et les danseurs, après plus d’une heure sur scène, commencent à prendre de l’ampleur dans leur danse. Rothbart est toujours aussi charismatique et montre l’étendue de sa technique et son énergie dans sa seule variation, sur une partition qui n’est plus utilisée dans la version parisienne, dont on regrette simplement que la principale diagonale ressemble à s’y méprendre à celle du pas de deux de Flammes de Paris.

Cet acte est particulièrement marqué par les danses de caractère qui sont dans cette version remarquables et, c’est assez rare pour être noté, évitent brillamment l’écueil de la caricature. Elles sont très agréables à regarder et s’intègrent parfaitement dans le reste des danses composant l’acte. Anastasia Shevchenko dresse un cygne noir aussi impeccable que son cygne blanc. Mais alors qu’elle semble se jouer avec facilité des difficultés du rôle, stupeur, les 32 fouettés ont disparu de la chorégraphie ! Bien sûr, chaque version présente ses différences, mais un lac des cygnes sans ses 32 fouettés, c’est comme un Albrecht sans cape… Ce choix interroge d’autant plus qu’ils sont remplacés par un manège de tours piqués qui n’apporte rien de plus sur le plan narratif, pas plus qu’il ne donne plus de profondeur à la chorégraphie. Dommage vue la solidité technique dont fait par ailleurs preuve l’interprète, dont on se doute que les fouettés ne l’auraient pas mise en difficulté.

Les actes blancs réservent rarement des surprises du point de vue de la chorégraphie. À nouveau très proprement exécuté, le quatrième acte se distingue pour le public français par de longs passages musicaux qui ne font plus partie de la partition utilisée dans la plupart des versions européennes. Moments de respiration par rapport au thème principal, dont ils diffèrent très largement en style et en tempo, on pourrait leur reprocher d’enlever à la tension dramatique de la fin du ballet, mais ils restent mélodieux et agréablement chorégraphiés. C’est à nouveau un sans-faute pour les danseurs, qui décidément semblent avoir dansé ce lac toute leur vie. Si ce dernier acte est globalement réussi, la chorégraphie montre à nouveau ses limites lors du final à notre sens grotesque, qui voit un Rothbart amputé d’une aile se tordre par terre – ce n’est pas le choix que nous aurions fait – pour conclure, une fois n’est pas coutume, par une « happy end » maladroitement amenée.

En résumé, c’est un lac des cygnes tout à fait honnête que nous propose le théâtre des Champs Elysées, et une bonne alternative pour les fêtes à l’Opéra de Paris dont les portes, rappelons-le, sont toujours fermées en raison de la grève. Le ballet de Kiev s’affirme comme une compagnie de bon niveau, qui n’a pas à rougir de sa prestation, mais à qui l’on aurait fort envie de proposer une chorégraphie plus recherchée et offrant plus de possibilités au corps de ballet.

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